Que pouvait-on consommer et cuisiner dans les cuisines médiévales ?

Ou comment bien recevoir Charlemagne, Perceval et Karadoc ou encore Jacquouille la Fripouille ? Daniel Fiévet s’est entretenu dans « L’Été comme jamais » avec trois archéologues du goût, prêts à raviver les souvenirs culinaires de nos ancêtres. Quelles senteurs s’échappaient donc des cuisines du Moyen Âge ?

Au Moyen Âge, il existait des banquets qui pouvaient durer plusieurs heures, voire plusieurs jours, nous raconte Fabian Müllers, archéologue du goût. Mais ils étaient extrêmement codifiés avec des manière de se tenir et de manger, selon la bienséance.

Il était hors de question, au Moyen Âge, de se goinfrer et d’aller vomir entre deux plats pour s’en remettre ensuite plein la panse.

À cette époque, on est beaucoup plus raffinés qu’on peut le penser aujourd’hui. On ne cachait pas le goût et l’odeur de la viande avariée avec des épices comme on peut souvent l’entendre. Dans l’aristocratie médiévale, notamment à la fin du Moyen Âge, quand on se penche sur les réceptaires culinaires (c’est-à-dire les livres de recettes) et les menus de ces banquets, on remarque des mets très raffinés à la table des princes et des rois.

Éric Birlouez, ingénieur agronome, sociologue de l’agriculture et l’alimentation et spécialiste de l’histoire de l’alimentation, Fabian Müllers, historien de l’alimentation et archéologue du goût mais aussi Camille Lelièvre, pâtissière à Caen (qui propose des pâtisseries du Moyen Âge jusqu’à la fin du XXe siècle) sont les invités de notre voyageur du temps, Daniel Fiévet. Ils nous invitent à scruter les cuisines médiévales, des breuvages aux desserts.

Mais comment accéder à l’impalpable, au goût de cette époque ?

On a bien les livres de recettes, mais il est plus difficile d’avoir le goût de cette époque.

Quand on parle de goût, on est voué à un constat d’échec, car comment faire de l’archéologie avec de l’impalpable, de l’évanescent ?

Le goût est éminemment culturel. Il n’a pas la même valeur ni la même physiologie à travers le monde, les milieux sociaux et les époques, insiste Fabian Müllers. Les aliments ont également évolué, selon la nature, les progrès industriels ou génétiques.

On est incapables aujourd’hui de retrouver les textures et les goûts des plats d’autrefois.

Pourtant, Fabien Müllers réalise un travail d’enquête pour tenter de retrouver ces saveurs. Il travaille avec des archéologues et des cuisiniers dans un but d’archéologie expérimentale.

Il l’explique à Daniel Fiévet et aux autres invités : au Moyen Âge, sur les tables européennes aristocratiques (car c’est de cette époque que viennent un grand nombre d’archives et de recettes), il y a des saveurs fortes et parfumées, car il y a beaucoup d’épices.

Les recettes sont majoritairement avec du liquide (lait, eau, vin), des liants (jaune d’œuf, farine, amidon, fruits secs broyés) ainsi que des présences acides (vinaigre, verjus c’est-à-dire du jus de raisins non mûrs). Tout ceci pourrait nous rapprocher de la cuisine orientale ou moyen-orientale actuelle. 

Pourrait-on la déguster aujourd’hui ? Même si l’on parle d’une foison d’épices, estime Fabian Müllers, celles-ci mettent jusqu’à un an, voire deux, pour parvenir sur les tables européennes, ainsi elles perdent de leur force et donnent une saveur peut-être moins développée que ce à quoi l’on pourrait s’attendre.

Que mangeait le peuple ?

Éric Birlouez, sociologue de l’agriculture et l’alimentation, quant à lui, se penche sur ce que l’on mangeait au Moyen Âge lorsque l’on n’était pas un grand seigneur. Que peut-on trouver à la table des plus modestes ? 

Il faut bien regarder de qui l’on parle, lorsqu’on évoque l’alimentation. Le peuple représente 90% de la population au Moyen Âge. À cette période-là, son alimentation ne bouge pas beaucoup, on ne voit de changements manifestes qu’après la Révolution française.

Le peuple se nourrit en général de blé sous forme de pain, de galettes (notamment de sarrasin comme en Bretagne), de bouillie également, de légumes secs, de légumineuses (complémentaires pour leur apport en protéines), des légumes du potager, quelquefois de la viande, du poisson (les jours où l’Église interdit la consommation de viande).

Ce n’est pas une alimentation de crève-la-faim. Mais elle est peu diversifiée et l’équilibre nutritionnel n’est pas toujours possible.

Au XIVe et XVe siècles, grande époque des épices sur les tables, celles-ci sont majoritairement réservées aux aristocrates, comme le poivre, la cannelle ou les clous de girofle qui viennent de l’autre bout du monde. Mais certaines épices sont néanmoins consommées par le peuple, telles que le cumin, les baies de genévrier ou la moutarde.

Et en dessert ?

Il est vrai qu’aujourd’hui, si l’on pense « pâtisserie », on pense « sucre ». À l’époque, on utilise déjà le miel et le sucre de canne (qui est considéré comme une épice et qui a été ramené par les Croisades. Il sera d’abord utilisé comme médicament, puis en tant qu’aliment) à la fin du Moyen Âge. Le sucre, comme le sel, est également utilisé comme conservateur notamment pour les fruits (comme la confection de fruits confits).

Éric Birlouez raconte à quel point la place du sucre a évolué au fil du temps. D’abord considéré comme une épice, car coûteux, il est ensuite un médicament (Éric Birlouez affirme qu’à l’époque la fonction principale de l’alimentation est la santé, avant tout). La séparation du sucré et du salé n’a pas toujours été effective, on faisait de joyeux mélanges à l’époque, à la manière, encore une fois, de ce que l’on trouve dans la cuisine orientale aujourd’hui. C’est au XIXe siècle que le sucré a été repoussé à la fin du repas et qu’il est devenu dessert.